La guerre fait-elle dérailler le « siècle africain » ?

Il y avait autrefois de grands espoirs que ce serait le « siècle africain ». Le terme résume le désir de voir le continent surmonter l’héritage du colonialisme et de l’exploitation et évoluer vers un avenir dans lequel, soutenus par la prospérité économique et la stabilité politique, de nombreuses nations africaines joueraient un rôle décisif dans un monde de plus en plus multipolaire.

Alors que nous approchons du quart-chemin de ce voyage, le tableau semble mitigé. Certaines parties du continent sont devenues plus riches ; la Banque mondiale a prédit en octobre que l’économie de l’Afrique de l’Est se dirigeait vers une croissance record de 1,8 pour cent en 2023, tandis que celle de l’Afrique de l’Ouest devrait croître de 3,3 pour cent. L’Afrique a également l’avantage d’être le continent le plus jeune du monde, avec tout le talent et l’énergie que cela apporte : selon l’ONU, près des trois quarts des habitants de l’Afrique subsaharienne ont moins de 30 ans.

Néanmoins, le continent continue de souffrir de trop de conflits qui font rage de manière incontrôlée mais qui semblent rester inaperçus sur la scène mondiale. Ces guerres menacent non seulement la stabilité locale, mais risquent de faire dérailler les perspectives de tout un continent en chassant des millions de personnes de leurs foyers.

Cette semaine, Radhoune Noucier, expert en droits de l’homme nommé par le Haut-Commissaire des Nations Unies pour surveiller le Soudan, a déclaré : Actualités de l’ONU que sur les 45 millions d’habitants de ce pays déchiré par la guerre, plus de 7,6 millions ont été déplacés de force depuis avril dernier, dont 1,6 million ont fui vers les pays voisins pour se réfugier. Ce conflit qui dure depuis neuf mois, et qui ne montre guère de signes d’arrêt, s’ajoute aux mouvements de population générés par les conflits, les insurrections et l’instabilité ailleurs en Afrique, comme au Sahel, en République centrafricaine, en République démocratique du Congo et en Somalie. Ailleurs, les informations faisant état d’une famine imminente dans la région éthiopienne dévastée du Tigré ainsi que les récentes tensions entre Addis-Abeba et Le Caire au sujet de l’accès du Somaliland à la mer Rouge présentent des défis supplémentaires.

Selon le Centre africain d’études stratégiques, le continent connaît une tendance qui dure depuis une décennie, dans laquelle le nombre d’Africains déplacés de force a augmenté au cours des 12 derniers mois et s’élève désormais à plus de 40 millions de personnes. Ce déracinement de communautés entières constitue un moteur de migration irrégulière et présente de sérieux défis pour les économies africaines fragiles, les pays où la gouvernance est corrompue ou faible, ou où la sécurité fait défaut. Et contrairement à certaines idées reçues, les flux migratoires en Afrique ne se dirigent pas uniquement vers le nord, vers l’Europe. L’Afrique du Sud, le pays le plus riche de cette partie du continent, a été le théâtre de manifestations violentes et xénophobes contre la présence de migrants en provenance des États voisins.

C’est un problème qui ne disparaîtra pas. Le Fonds monétaire international estime que la population de l’Afrique subsaharienne devrait doubler, passant de 1 milliard à 2 milliards d’ici 2050 environ – et que la majeure partie de cette population sera jeune ou en âge de travailler. Si l’on ne s’attaque pas à l’enchevêtrement de conflits, de gouvernements défaillants et de croissance économique inégale qui ravage un certain nombre de pays du continent, les déplacements et les migrations involontaires continueront de freiner les progrès du continent.

Il ne fait aucun doute que la guerre à Gaza et ses effets étendus ont retenu une grande partie de l’attention du monde. Compte tenu de la nature extrême de ce qui se passe, cela est compréhensible. Mais le fait que la dernière guerre en Afrique – le conflit qui se déroule au Soudan – ne suscite pas d’action mondiale est une indication inquiétante d’indifférence.

Si les pays ou les régions préoccupés par la sécurité mondiale et dont certains ont du mal à faire face aux migrants sans papiers – dont beaucoup fuient les guerres africaines – veulent vraiment résoudre le problème, alors redoubler d’efforts pour résoudre le conflit soudanais est un bon point de départ. La guerre au Soudan dure depuis près d’un an, avec trop de fausses aubes. Plus cela durera, plus les Soudanais souffriront et des millions de personnes seront contraintes de fuir. Ce scénario se joue à travers tout le continent et est malheureusement de mauvais augure pour le « siècle africain ».

Publié : 25 janvier 2024, 03h00